l'inconfort et la confiance
Ce texte va sans doute être le plus intime que j’ai eu à écrire jusque là. On pourrait s’étonner, puisque je parle surtout de l’intime mais l’intimité est quelque chose de profondément…intime.
Je ne sais même pas comment le commencer. Est-ce que je le commence chronologiquement puisqu’il y a une chronologie, celle de la vie où commencé-je au feeling, comme j’ai l’habitude de le faire ? J’écris dans l’instant et ce que j’écris lors d’un moment précis. Ce moment précis est toujours un point culminant d’un cheminement conscient et inconscient. Ce n’est pas que le processus analytique, c’est aussi tout simplement le processus qu’est la vie.
J’ai fait beaucoup de choix dans ma vie, comme on en fait beaucoup dans une vie. Parfois on fait des choix qui nous mènent et nous gardent dans un confort parce que c’est ce dont nous avons besoin à ce moment là : du repos. Puis il y a des choix différents, ceux qui nous mènent vers l’inconnu, un inconfort jusque là jamais vécu. L’inconfort est essentiel dans la vie. C’est ce qui crée le mouvement, et comme l’a si bien dit mon ami Leonardo da Vinci : “Le mouvement est principe de toute vie.”
Cet inconfort nous fait grandir, c’est dans cet inconfort qu’on apprend : qui nous sommes, qui et quoi nous désirons vraiment, ce que l’on attend de la vie et ce que la vie attend de nous. Pour pouvoir grandir dans cet inconfort, il faut un autre paramètre : la confiance ( le sentiment de sécurité également).
Pendant un temps, j’ai été dans un confort qui me laissait dans un état de stagnation. Mais je n’étais pas dans la confiance, et je ne me sentais pas en sécurité. Aujourd’hui, et depuis des mois, je suis dans un inconfort, mais je me sens également en sécurité et en confiance.Cet inconfort et je dirais même, ces inconforts, je les ai choisis, les uns après les autres.
J’avais lu, il y a plusieurs mois déjà, dans un conseil astro sans doute, que je devais aller là où je ressentais de l’inconfort. L’inconfort, physiquement, il s’est traduit chez moi par des tremblements. Je n’ai compris pas ce qu’il m’arrivait, mais je savais que j’allais dans la bonne direction.
On fait des choix dans la vie mais on ne contrôle pas la portée des choix que l’on fait. On ne contrôle que le choix que l’on fait au moment T mais on ne contrôle pas le reste, la suite naturelle des choses, on ne contrôle pas la vie ni les gens qui nous entourent. Les choix que nous faisons, nous les faisons sans savoir ce qu’il adviendra de ces choix mais nous savons pourquoi nous les faisons et nous en prenons l’entière responsabilité d’avance. Nous les faisons parce que ce sont les choix que nous désirons faire. Et parce que précisément certains choix nous mettent dans un inconfort, nous savons que, même si la peur s’en mêle, c’est l’intuition qui nous guide. Toujours dans mon cas.
J’ai su, à plusieurs reprises dans ma vie ce qu’il fallait que je fasse pour avancer et plus que jamais, j’ai su, cette dernière année, ce qu’il fallait que je fasse, précisément, pour vivre. Alors on va vers l’inconfort pour grandir mais surtout pour vivre pleinement la vie que l’on veut vivre. On ne s’épanouit pas dans le confort constant. On s’épanouit dans la sécurité et dans la confiance. Au mieux, on se satisfait du confort. Mais la satisfaction est une prison mentale.
Le véritable épanouissement est la liberté. ( et non pas la recherche constante de liberté qui est un autre type de prison…)La liberté est inconfortable, vertigineuse, grandiose et belle. La liberté, c’est pouvoir être soi et jouir de soi, de la vie, au présent, dans la pleine conscience de tout et y compris de ses sens. Et de pouvoir les partager.La liberté vient avec beaucoup de responsabilités et la première de celle-ci est la responsabilité de soi. ( on est pas responsable des autres non plus d’ailleurs…mais responsable de comment on agit envers eux).
Lorsqu’on s’en remet à autrui ou lorsqu’on s’appuie trop sur autrui pour savoir ce que l’on veut dans la vie; lorsqu’on se déleste de ces responsabilités là, et quand bien même on le fait parce qu’on est épuisé de la vie, on donne le pouvoir à quelqu’un d’autre de choisir notre vie.
Mais notre vie est la nôtre.
Personne ne peut dire à votre place ce que vous devez faire et personne n’a le droit de vous dire que le choix que vous faites est mauvais. Si on vous dit ça c’est qu’on vous ne fait pas confiance dans votre capacité à faire les choix qui vous sont nécessaires et mieux que ça, qui vous mèneront à votre véritablement épanouissement.
C’est marrant parce que je suis tombée sur un épisode de podcast qui répondait si bien à ce que j’avais écrit plus tôt, alors j’ajoute ici ce qui a fait écho à ce que j’avais écrit hier. On est responsable de soi, de comment on réagit à une situation. Est-ce qu’on désire rester dans la peur ? Est-ce qu’on continue à se juger, avec notre ego qui tient à binariser notre être, nos pensées et nos actions : c’est bien, c’est mal ?
Je sors souvent de ma séance de psy en me demandant si mes choix sont bons ou mauvais, en me demandant si c’est bien ce que je fais; comme si je cherchais, à travers ma psy ma propre validation de mes choix. Mais en les binarisant ainsi et en y posant les notions de bon ou mauvais, je cherche encore et toujours la perfection, la compréhension analytique de ce que je suis en train de vivre. Ma psy me dit alors de vivre les choses et de les ressentir plutôt que de constamment passer mon temps à tout analyser, interpréter, faire sens avec mon cerveau analytique.
J’ai toujours fait ça pour faire sens du monde, comme je manipulais les chiffres enfant pour faire sens du monde autour de moi. Enfant, je calculais et j’additionnais tout : les chiffres des numéros de téléphone sur les grandes affiches de publicité, les plaques d’immatriculation, les anniversaires, les dates importantes, les âges…tous les chiffres que je voyais, je les manipulais pour tenter de comprendre le monde telle une astrophysicienne qui ferait des calculs complexes pour comprendre l’existence des trous noirs ou tout simplement l’univers. J’étais fascinée par les chiffres parce qu’ils avaient une logique ( même si je n’étais pas spécialement forte en mathématiques à partir du collège). J’avais une mémoire exceptionnelle des chiffres et d’ailleurs j’ai toujours une très bonne mémoire des chiffres et des dates d’anniversaire de mes camarades de classe de la primaire…( par exemple).
Le chiffre est logique, sa manipulation répond à des critères précis que je peux mettre dans des cases toutes faites.
Les émotions, elles, je ne peux pas les mettre dans des cases, la vie, elle, je ne peux pas la mettre dans une case, les mots non plus je ne peux pas les mettre dans des cases.
Vous comprendrez le sens de cette newsletter probablement à la fin de celle-ci.
Cette semaine, je me suis demandée et j’ai demandé à autrui, ce que je dégageais lorsque j’étais plus jeune. Et les mêmes phrases sont ressorties : tu avais les pieds sur terre, tu savais ce que tu voulais, tu étais forte, tout le monde t’admirait, moi je t’admirais, tu étais précise, tu donnais plein de détails, tu t’affirmais, tu semblais solide, tu étais plus mature que tes pairs, tu avais déjà plein de projets, plein d’idées, tu parlais bien. Je n’avais pas conscience de ça autant que j’avais conscience de ça également.
Très jeune j’avais conscience que j’étais plus mûre que les autres, pas parce que j’étais plus intelligente que les autres, et quand bien même j’étais une enfant différente, mais parce que j’avais déjà grandi très vite, très jeune. Très jeune, j’étais déjà très lucide sur des choses sur lesquelles les enfants de mon âge n’avaient même pas idée.
C’est comme si je voyais tout, j’observais tout, de loin, avec de la distance. Je vivais les émotions de manière très intense et comme c’était trop, je me distanciais très vite. Très peu de choses ne semblaient m’atteindre. Même le harcèlement scolaire que j’ai vécu une grande partie de ma scolarité ne m’a que peu atteint parce que je me suis distanciée pour me protéger. Et je me suis distanciée pour protéger autrui également. Ça a commencé très tôt.
Le souvenir le plus lointain, c’était la conscience de classe que je ressentais déjà à la maternelle. J’avais conscience, à l’âge de 5 ans, que ma famille ne faisait pas partie de la classe moyenne supérieure comme beaucoup de familles de l’école dans laquelle j’allais. J’avais une conscience aiguë des rapports de pouvoir à l’âge de 5 ou 6 ans. Je voyais ce qui se jouait entre parents et ce qui se reproduisait chez les enfants. C’était difficile à vivre parce que je me sentais très frustrée de ne pas pouvoir exprimer ce dont j’avais conscience. Comment aurais-je pu partager cela avec mes camarades de classe alors que je ne maîtrisais pas les mots, et comment aurais-je pu parler de ça à mes parents puisque je savais qu’eux-mêmes souffraient du mépris de classe ( quand bien même j’ai grandi dans une richesse culturelle). Je me sentais frustrée de cette séparation faite entre les classes puisque je savais au fond de moi que ce n’est pas parce que ma famille gagnait peu d’argent que nous n’avions pas accès à une richesse culturelle.
Le second souvenir d’une conscience des rapports de pouvoir fut en colonie dans les Pyrénées à l’âge de 6 ans juste avant de rentrer en CP. Les animateurs de cette colonie maltraitaient les enfants. Je savais que ce n’était pas normal, que ce n’était même pas légal mais je ne pouvais rien dire alors j’observais en silence en espérant qu’un jour le karma viendrait les rattraper. Au téléphone, je ne parlais pas de tout ça à mes parents parce que je pensais « que pourraient-ils faire de toute façon, ils n’ont pas le pouvoir de changer les choses puisqu’il y a trop à changer ».
A cette époque là, je tentais déjà de contrôler tout puisqu’on me donnait un rôle déjà très responsable et bien trop grand pour moi. J’avais déjà des troubles du comportement alimentaire parce que j’avais la sensation de contrôler quelque chose qui m’appartenait. Mais je ne disais rien, je ne me laissais pas être aidée. Et même si certains adultes tentaient de prendre soin de moi, je repoussais leur aide.
Je me débrouillais déjà bien toute seule, à l’âge de six ans. Et ainsi j’ai passé le reste de ma scolarité avec cette conscience aiguë des choses tout en pensant que les adultes ne pourraient jamais rien faire puisque de toute façon ils semblaient ne jamais rien pouvoir changer. Puis très vite, je me suis occupée des autres. J’ai pris des responsabilités qui n’étaient pas les miennes, on m’a donné des responsabilités qui n’étaient pas les miennes. J’ai protégé les autres et j’ai surtout voulu protéger ma sœur. Je me suis occupée d’elle comme un parent s’occupe de son enfant parce que je savais que l’amour que je lui portais, pourrait la protéger quand bien même ce n’était pas mon rôle. Il fallait que je le fasse.
Je me suis toujours débrouillée toute seule dans tout ce que j’ai entrepris, j’ai toujours eu du mal à demander de l’aide, à recevoir de l’aide.Je ne disais rien sur ce que je ressentais. Je n’étais pas une enfant comme les autres. Je n’étais pas appréciée sans doute à cause de la distance que je mettais, sans doute à cause de ma différence et de ma lucidité. J’étais mise à l’écart parce que j’observais plus que je ne participais.
Ado, je n’étais pas comme les autres non plus. Je faisais des blagues à côté de la plaque, ma communication était brute et je ne jouais pas de jeu. Je ne parlais pas le langage ado et je faisais des phrases élaborées comme j’avais toujours fait, puisque de toute façon je ne savais pas parler autrement. Je ne jouais pas de jeu et ça provoquait chez les autres du rejet, mais je savais déjà à l’époque que cela parlait d’eux et pas de moi. Puis j’ai appris par la suite, des années plus tard et d’ailleurs grâce à facebook, que des camarades de classe étaient amoureux de moi au collège mais n’osaient pas le dire parce que je n’étais pas du tout populaire et parce que j’étais distante. Distante.
Mais il fallait que je sois distante. Je ne pouvais pas et ne savais pas être autrement. J’ai grandi très vite, plus vite que les autres. J’ai paru adulte très vite alors que aujourd’hui, adulte, je fais plus jeune que mon âge. J’étais déjà une adulte mais mes émotions, elles, si peu exprimées, étaient dans un autre espace temps. Puisque je m’étais tant distanciée, je ne pouvais pas connecter comme j’aurais désiré et d’ailleurs je ne pouvais pas connecter avec les gens de mon âge.
Je ne pouvais pas non plus exprimer ma vulnérabilité puisque je ne savais pas que j’en avais une. Et bien que je savais que nous sommes des êtres multidimensionnels, il me semblait que mon rôle à moi, c’était d’être solide pour les autres. En amitié également puisque je voyais des choses qui se faisaient, à mon égard, et j’observais de loin, je laissais glisser. Qu’aurais-je pu faire de toute façon ? Alors je laissais couler. C’est une forme de maturité cette distance là, et d’ailleurs elle est nécessaire pour continuer à aimer certaines personnes, mais de loin. Elle est nécessaire parce que de toute façon, ce n’est pas à nous de changer ou sauver les autres.
Mais à force d’être distanciée de tout, je me suis coupée de mes émotions et de ma propre vulnérabilité. Et en étant coupée de ma propre vulnérabilité, je n’étais pas capable d’accueillir celle d’autrui. Puisque j’aidais les gens dans la distance, je ne me laissais pas l’espace de connecter émotionnellement alors que c’est ce que je désirais aussi au fond de moi.
Je rêvais qu’on voit à travers ma force et ma distance. J’avais envie qu’on me dise « je respecte ta distance, je vais venir jusqu’à toi et escalader les murailles qui t’entourent ». Mais je n’avais même pas conscience que j’étais distante parce que je me protégeais aussi. Je pensais que j’étais distante pour protéger les autres.
Il fallait que ce soit moi qui « hold things together ». On m’avait mise dans une position de sauveuse et je suis restée longtemps dans cette position de sauveuse.
J’ai comblé les trous des mémoires traumatiques laissées par mes parents et leurs parents avant eux et encore leurs parents avant eux. Et comme la justice me tenait à cœur, je me suis dit qu’il fallait que je me fasse pour mission de sauver le monde. Enfant déjà, je sentais le poids du monde sur mes épaules et comme une petite drama queen que je peux être ;) , je me disais que c’était ma mission sur terre : sauver le monde.
Et donc j’ai fait de cette mission des identités au lieu d’en faire tout simplement une mission de vie. Le chemin qu’on prend, on le prend pour des raisons multiples. Avec le recul, l’analyse mais également l’arbre généalogique familial que nous avons commencé à faire il y a plus de trois ans, je me rends compte que je voulais sauver les femmes de ma famille. Je voulais sauver la mémoire de ma grand-mère maternelle, je voulais sauver ce qui était resté de ma grand-mère paternelle qui elle avait été internée, je voulais sauver ma mère, et je voulais sauver et libérer toutes les femmes de ma famille.
Je m’étais donnée pour mission de sauver les femmes. Je ne voyais d’ailleurs que leur vulnérabilité à elles et je n’avais pas accès à celle des hommes cis ( mais ça nous y reviendrons plus tard). Je crois qu’une partie de moi s’est dit lesbienne pour libérer les femmes. Je me souviens m’être dit, et à plusieurs reprises, que si je vivais des relations avec les femmes, je pourrais les libérer. Avec du recul, j’ai beaucoup d’humour dessus parce que c’était beaucoup m’accorder de pouvoir mais je ne le voyais pas comme ça. Mon intention était pure.
En parallèle de ça, je n’avais pas accès à mes propres émotions ni à ma propre vulnérabilité et comme je fonctionnais, selon les normes sociales du genre, comme les hommes, alors, par effet miroir, je n’avais pas accès à la vulnérabilité des hommes. Et en comprenant cela, bien plus tard, j’ai compris, pour moi, que ce n’était pas que les hommes qui ne montraient pas leur sensibilité, c’est que moi aussi je ne leur permettais pas ça. Et d’ailleurs, là où je me suis un peu « plantée » avec les femmes également, c’est que je n’avais pas vraiment accès à leurs émotions non plus puisque je n’avais pas accès aux miennes.
Je ne regrette pas le chemin que j’ai parcouru, j’en suis même très reconnaissante puisque me dire lesbienne m’a ouvert des portes extraordinaires : le militantisme féministe et LGBTQ, des remises en questions sociétales, philosophiques, des lectures et colloques extraordinaires, des rencontres et des opportunités comme on en a peu dans une vie. Et puis surtout, dans ce chemin, je ne serais pas là en train de vous écrire tout ça; je ne serais pas là à vivre ce que je vis. Je ne serais pas dans cette expansion que je vis.
Je ne dis pas forcément que les choses arrivent pour une raison particulière ou que le hasard n’existe pas mais nous faisons les choix que nous faisons à des moments précis de nos vies pour des raisons que nous comprenons parfois que plus tard.
Me dire lesbienne a été une étape dans ma vie, comme me rendre compte que je ne l’étais pas. Ça s’est fait par étapes, il y a un an déjà, puisque c’était d’abord politiquement et culturellement que je me sentais m’éloigner du mouvement.
Ce n’est qu’après que j’ai compris quand m’éloignant politiquement d’une identité qui fut la mienne, je pouvais enfin embrasser mon identité intime, plus complexe, plus plurielle et enfin basée sur mes véritables désirs.
Ainsi et je finis par cela, en comprenant que les hommes cis aussi étaient vulnérables et sensibles, en ôtant les projections et les croyances que j’avais sur eux, j’ai pu commencé à défaire les croyances que j’avais sur moi et notamment celle que je devais toujours être forte. J’ai pu commencer à comprendre que moi aussi j’étais vulnérable et que ce n’était pas mon rôle de sauver les autres. Je peux, au mieux et en écrivant comme je le fais, ouvrir des voies.
Et c’est ça qui a tout changé.
(enfin ça reste du work in progress hein)